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La prédiction de Tibbett

février 2nd, 2008 par Marcel Azencot


Le 7 octobre 1959, le grand ténor et acteur américain Mario Lanza s’éteignait brusquement à la clinique Valle Giulia à Rome, d’où il s’apprêtait à sortir après une cure d’amaigrissement.

Une phlébite persistante (une photo le montre, jambe surélevée et bandée) et une vie d’excès avaient eu raison de cet homme excessif de seulement 38 ans, qui laissait quatre enfants et une femme fragile qui ne devait lui survivre que 5 mois.

Evanouis pour toujours, les rêves d’une immense star de remonter sur la scène d’un opéra, ce qu’il n’avait fait qu’une seule fois dans sa vie, à l’âge de 27 ans, à La Nouvelle Orléans, où il interprétait Pinkerton dans madame Butterfly, de Puccini.

Le cinéma, qui le découvrait juste après, lors d’un concert historique au Hollywood Bowl, sous la direction d’Eugène Ormandy, allait se l’approprier dans tous les sens du terme, à l’époque où les artistes de cinéma, et même les plus grands, étaient les esclaves plus ou moins dorés des grands studios, des « majors », qui étaient leurs employeurs exigeants et rigoureux.

Et précisément, la MGM, allait faire de lui une célébrité mondiale, mais à quel prix !

Un contrat de fer (scénarii imposés, dialogues imposés, airs imposés) dont il allait, sans arrêt, tenter de desserrer l’étau, en négociant, rompant, revenant, menaçant, se débattant, pour contester des scripts insuffisants ou mièvres, et parfois obtenir plus d’opera, plus de beaux textes, et les meilleurs partenaires.

C’est ainsi que pour le « grand Caruso », film quasi légendaire , il obtint, avec l’aide de son producteur Joe Pasternak, et contre le studio, l’assistance déterminante de Peter Herman Adler à la direction musicale. Celui-ci allait exiger les grandes voix du Metropolitan de New York comme partenaires, les Jarmila Novotna, Dorothy Kirsten, Giuseppe Valdengo, Nicola Moscona etc…

Les dizaines de concerts qu’il donnait à guichets fermés et qu’il s’était réservés par contrat, encore dans l’illusion de la liberté de concilier cinéma et scène de l’opéra, lui procuraient le contact direct et le frisson de la communion avec le public. Mais l’opéra ne viendrait pas, sans doute parce que lui-même ne venait pas à l’opéra, malgré les offres pressantes des grandes maisons : Scala de Milan , Opéra de Rome, Théâtre San Carlo de naples etc…, et les sollictations des grands
« patrons », tels Victor de Sabata.

C’est pourquoi, on ne trouvera jamais, malgré tous les opéras sus par cœur, l’enregistrement d’un opéra complet par Mario Lanza.

Lui que les grands de son temps – et du nôtre – admiraient et venaient écouter en concert et récital ou voir entre les scènes de tournage (Ezio Pinza, Renata Tebaldi etc…), il aurait fallu qu’il trouve, contre le cinéma, le temps de répéter, avec des partenaires d’opera disponibles entre ses tournages prioritaires.

Et, il faut aussi le dire, il aurait fallu qu’il accepte de gagner dix fois moins à l’opéra, ce qui n’était pas facile pour un homme qui s’était vite habitué à gagner beaucoup et à dépenser encore plus, après les prélèvements d’agents auxquels, sans expérience de l’argent, il avait consenti des conditions abusivement défavorables pour lui…

En tous cas, s’il se plaignait du cinéma, celui-ci le lui rendait bien, et finit par se lasser de ses révoltes permanentes, de ses absences protestataires qui bloquaient les tournages et menaient à la rupture. Celle-ci fut consommée dans des conditions catastrophiques pour lui avec la MGM, résiliation du contrat, procès perdu à propos du film « The Student prince », où il enregistra la partie chantée mais fut remplacé à l’écran par l’acteur anglais Edmund Purdom, qui mima le chant sur la voix de Lanza.

Le film ne fut pas un succès, il y manquait, de l’avis même de ses détracteurs, sa présence, son physique, en un mot son charisme et sa vérité.

Mais le pire est que le contrat lui interdisait tout concert en cas de rupture de sa part, et incontestablement celle-ci lui était imputable même s’il était la victime de l’incompréhension de la machine hollywoodienne des années cinquante.

Un chanteur d’opéra qui ne peut plus chanter en public !

L’homme qui avait la plus belle des voix commençait à sombrer : désespoir, boisson, excès alimentaires, prise de poids, dépression, et conscience (il devait le dire plusieurs fois) qu’il ne vieillirait pas…

Le sentiment de finitude commençait à le briser en même temps qu’il le mûrissait, sa voix elle même, dotée de splendides tonalités sombres et inquiétantes (écoutez son Otello avec Licia Albanese, CD « Aria and Duets ») s’assombrit encore comme pour se mettre au diapason de l’humeur de son cœur et de cette gravité nouvelle qui commençait à l’emporter.

Au total, la voix était plus belle que jamais, alors même que l’homme s’enfonçait.

Il décida de quitter les Etats-Unis et vint s’installer en Italie, terre de ses parents, avec sa femme et ses enfants : il prendrait le temps de la réflexion, étudierait les offres des grands opéras, se remettrait au travail et à l’étude, il renaîtrait…

Il lui restait deux ans à vivre et il ne reverrait plus l’Amerique .

Il put cependant reprendre les concerts après avoir transigé son litige avec la MGM et organisa une tournée en Europe, en plus de tourner deux films, « The Seven Hills of Rome » et « For the First Time ».

Malheureusement, aucun de ses concerts ne fut enregistré, pas même le fameux gala du Variety Club de Londres, soirée caritative en présence de la Reine Elisabeth, où il fut la star incontestée (judy Garland elle-même venait en second dans l’affiche, qui a été conservée au Mario Lanza Institute and Museum de Philadelphie.

Heureusement, un concert, un seul concert, fut enregistré et ce fut un véritable événement historique musical : c’est le fameux concert donné à l’Albert Hall de Londres, salle circulaire immense avec des « trous » où le son est piégé et se perd, et où les voix deviennent parfois inaudibles. Or la beauté et la puissance phénoménale de la sienne firent de cette soirée un triomphe indescriptible, avec un public qui occupait même la scène derrière le chanteur !

Celui-ci, ravi de cette intimité, demandait à la salle avec humour et espièglerie l’autorisation de chanter « pour ces gens qui sont derrière moi » (« You may not know it, but these are my relatives ! »)

Cet extraordinaire concert (Mario Lanza, Live From London, RCA-BMG-SONY) impressionna non seulement le public, transporté de vrai bonheur, mais aussi nombre de grands noms de l’opera accourus pour entendre cette voix unique (la sublime Joan Sutherland, son mari le chef d’orchestre Richard Bonynge, le grand ténor suédois Nicolaï Gedda, etc…) .

Voilà. Mais tout cela, c’était il y a cinquante ans.

Mais quand on écoute le concert, on est frappé par son caractère actuel et la vie qui s’en dégage, on croirait que l’enregistrement a été fait ce matin, la voix est là, elle plaisante, elle chante, elle prie, elle rit, et le récital manifeste l’éclectisme et la diversité des domaines musicaux abordés par ce grand artiste, qu’on s’attend à voir tout à l’heure au journal télévisé.

Mais voilà ! Tout cela, c’était il y a cinquante ans !

Et pourtant, le mystère, c’est cette jeunesse éternelle et l’actualité aveuglante de cette voix qui ne veut pas mourir.

Laurence Tibbett, autre monstre sacré de l’opéra et immense baryton-basse dont la voix chaude et ronde s’écoulait comme un velours triste, avait prédit, à la mort de Lanza, que dans cinquante ans, le monde découvrirait quel grand artiste il était.

Cinquante ans ont passé et c’est comme si cette voix, cette vie, qui n’a pas cessé de nous accompagner au cours du demi-siècle, venait de renaître et de déployer ses fastes au soleil.

Lanza chantait « Non ti scordar di me » (« ne m’oublie pas ») .

Précaution inutile : la prédiction de Tibbett est en train de se réaliser.

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