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Ecouter Mario Lanza

Leoncavallo : VESTI LA GIUBBA
Dicitencello Vuie
Verdi: OTELLO "Dio mi potevi"
Na sera e maggio
Serenade de Romberg
Leoncavallo: LA BOHEME
Giordano: ANDREA CHENIER














Mario Lanza toujours vivant 60 ans après sa mort

septembre 20th, 2019 par Alain Fauquier


Il y a 60 ans, le 7 Octobre 1959, mourait à Rome à 38 ans, Mario Lanza d’une embolie pulmonaire et des suites d’une phlébite à la jambe.

Le jeune ténor américain, né à Philadelphie de parents immigrants italiens, était devenu grâce au disque et au cinéma, le ténor le plus connu et le plus cher payé du monde, réalisant en une carrière d’à peine dix ans les meilleures ventes – par millions de disques chez RCA VICTOR – d’airs classiques (RCA VICTOR RED SEAL), et collectionnant les disques d’or tant pour ses interprétations d’airs d’opéra, ou de poèmes, comme ceux de d’Annunzio mis en musique par Tosti, que pour les chansons et grands standards et airs de comédies musicales américaines.

Il devint ainsi quasiment le premier grand artiste « cross over », – celui qui franchit les lignes, avec autant de bonheur et de réussite dans des genres différents [1]– un artiste éclectique à la voix extraordinaire, auxquels rendent hommage par disques, préfaces, concerts ou tournées musicales, les plus grands artistes de notre temps.

Ainsi les George London, Carlo Bergonzi, Placido Domingo, José Carreras, Luciano Pavarotti, Richard Leech, Joseph Calleja, Roberto Alagna et tant d’autres (Frank Sinatra, Elvis Presley !), certains attribuant à son chant l’origine de leur vocation.

Avant eux, ce furent, notamment, rien moins que Laurence Tibbett, Giovanni Martinelli, Marilyn Horne, Joan Sutherland, Maria Callas (qui regrettait de n’avoir pu chanter avec la plus belle voix qui eût jamais « respiré »), Renata Tebaldi, Licia Albanese, Richard Tucker, Franco Corelli, Alfredo Kraus Anna Moffo, Dorothy Kirsten, Tito Schipa, Giuseppe di Stefano, Jussi Bjoerling, Renée Doria, de l’Opéra de Paris, ou, chez les grands chefs, Serge Koussevitsky (son grand « découvreur » et maître à Tanglewood, la pépinière des grands talents d’Amérique), Arturo Toscanini, Franco Ferrara, Victor de Sabata, Walter Herbert, et, aujourd’hui Ricardo Mutti, Sir Antonio Papano…

 Ses films firent de lui une star planétaire de l’Opéra, lui qui, avant d’être « avalé » par la Metro Goldwyn Mayer et ses contrats d’or et de fer, cage dorée mais cage tout de même, se vouait d’abord et exclusivement à une vie à l’opéra.

Dans les années Cinquante, même sans la télévision et les moyens médiatiques d’aujourd’hui, sa gloire fut mondiale, notamment avec le film « The Great Caruso » (1951, encore diffusé en télévision et commercialisé en DVD, comme ses autres films). Pour le Grand Caruso, il aurait pour partenaires les plus grandes voix du Metropolitan de New York et le chef Peter Hermann Adler, qui dirigea les enregistrements dirait, parlant des partenaires de Lanza : « He made minced meat of them » (« Il les a hâchés menu !»).

Les cantatrices et chanteurs (Dorothy Kirsten, Jarmila Novotna, Lucie Amara, Nicola Moscona, Giuseppe Valdengo, Marina Koshetz) sont enthousiasmés et lui demandent ce qu’il attend pour les rejoindre au Met…

Dans le film « Sérénade » (Warner Bros,1954, réalisation Anthony Mann), il fait engager Licia Albanese, du Metropolitan, pour la longue scène du « Mouchoir » (Dio ti giocondi Ô sposo ! …Il fazzoletto ! ») d’Otello, de Verdi.

Albanese, partenaire des Jussi Bjoerling, Raoul Jobin, Giuseppe di Stefano et de la crème du Metropolitan ; celle qui chanta avec les plus grands et sous la baguette des plus grands, dont Toscanini, sera conquise et bouleversée par l’interprétation – et le jeu – de Lanza dans cette longue scène. Bouleversée aussi, Renata Tebaldi, en tournée aux Etats-Unis, qui lui rendra visite sur le plateau de « Sérénade » et à qui il fera projeter les « rushes » des scènes d’opéra, suscitant larmes et émotion chez la grande cantatrice.

Pourtant, Mario Lanza ne chanta un opéra complet que deux fois, lors de ses débuts de carrière (à La Nouvelle Orléans sous la baguette de Walter Herbert, pour « Madame Butterfly » et à Tanglewood, les « Joyeuses Commères de Windsor », de Otto Nicolai, lors de son complément de formation sous la houlette de Serge Koussevitsky, littéralement ému aux larmes (il ne serait pas le seul) de découvrir cette voix unique et murmurant : « Caruso redivivus ! », « Caruso ressuscité !», selon les Mémoires de Boris Goldovski.[2]

 Ce dernier, qui entendait pour la première fois la voix de Lanza, que lui présentait Koussevitski, écrira dans ses Mémoires :

« le son qui sortait de cette gorge était somptueux, inoubliable, et semblait venir d’un autre monde » (« out of the world ») ; je pouvais à peine en croire mes oreilles. »[3]

Pourtant le maestro Goldovski, qui précisait : « Bien sûr cette voix était phénoménale »[4] n’aimait pas Lanza pour l’indiscipline de ce garçon d’une vingtaine d’années qui, horreur !, relate-t-il avec indignation, ne pensait qu’à courir les filles « dans toutes les salles de travail »…

Quoi qu’il en soit, avant comme pendant sa gloire universelle grâce au cinéma et au disque, Mario Lanza s’était toujours attaché à multiplier les concerts et les contacts avec le public et se ménagea même par contrat avec la MGM la liberté de concerts ou d’opéra six mois par an. Mais il se trompait en se croyant libre par rapport à la grande « Major » malgré la compréhension et l’affection du « patron », Louis B Mayer, bientôt lui-même écarté par une équipe de « gestionnaires » du Studio qu’il avait fondé…

Mario Lanza donnerait quand même quelques centaines de concerts dans sa vie, tant avant le cinéma, pour Columbia Artists, avec son ami George London et Frances Yeend (le « Bel Canto Trio »), qu’après la signature de son contrat MGM, en duo avec Kathryn Grayson (Hollywood Bowl) puis en récital.

Il se produisit d’abord dans tous les Etats-Unis et le Canada, devant des audiences de plusieurs milliers ou dizaines de milliers de spectateurs (déjà…), dans des théâtres, des auditoriums, sur des scènes de plein air etc…, comme au Hollywood Bowl, ou au Grant Park de Chicago (55000 personnes), à la Syrian Mosque de Pittsburgh, etc…

Il chanta en récital à l’Opéra de Philadelphie…qui lui a réservé en hommage une plaque de bronze sur le trottoir de l’Avenue des Arts aux pieds de l’escalier du plus ancien opéra des Etats-Unis, à côté de celles des autres grands noms de la musique…dont Riccardo Mutti qui s’honore, dans ses Mémoires, (« Prima la Musica ! »), d’avoir sa plaque non loin de celles de Mario Lanza, Samuel Barber Marian Anderson etc..

Concerts en Europe enfin, alors qu’il résidait à Rome les deux dernières années de sa vie, ce qui lui permit de se produire notamment au Royaume Uni, au Variety Club de Londres, devant la Reine Élisabeth II d’Angleterre, (en vedette n°1 – l’affiche en atteste encore au Musée Lanza de Philadelphie – devant rien moins que Judy Garland et Count Basie et son orchestre et une pléiade d’artistes !). Puis toujours à Londres, au majestueux et énorme Royal Albert Hall (de ce concert reste un enregistrement RCA- Victor, « Mario Lanza, Live in London »).

Il y chanta devant près de 8000 personnes (dont 400 … sur la scène même !) déchainées et joyeuses (dont Joan Sutherland et son chef d’orchestre d’époux, Sir Richard Bonynge, NicolaÏ Gedda et bien d’autres), surpris par la beauté et la puissance de la voix dans ce « Temple », pourtant connu pour son acoustique déplorable (à laquelle il a été enfin remédié plusieurs décennies plus tard).

Cet homme au physique d’acteur et au torse de taureau s’adressait avec espièglerie et douceur au public avant d’annoncer ses titres, un « mix » d’ « Arie Antiche » du XVIII ème siècle (« Pieta Signore », « Gia Il Sole dal Gange… » etc…), d’airs d’opéra, de mélodies de Tosti ou de standards américains, dont certains spécialement composés pour lui par des Sammy Cahn (dont il faut lire, à cet égard, les mémoires affectueux et admiratifs ou voir ce qu’il dit sur You Tube de la « phénoménale » puissance et beauté vocale de Lanza en live) ou des Nicolas Brodszki, outre, cinéma oblige, des airs de son dernier film en date, Arrivederci Roma, qu’il annonçait au public.

Concerts en Écosse, au Pays de Galles, en Allemagne, en Belgique etc…

Vivant désormais dans l’Italie de ses parents et de ses ancêtres (le bourg de Filignano, en Molise, organise sous la direction de Katia Ricciarelli un Festival annuel Mario Lanza avec concours de chant), cet homme à la fois fort et éminemment fragile et peu sûr de lui, cherchera à se ressourcer, comme s’il prenait racine dans les profondeurs d’une vieille terre où les tréfonds du sol restituent parfois l’histoire du monde.

Dès le quai d’arrivée, en provenance de New York, (il voyage en bateau avec sa famille) il est accueilli, à sa surprise, par une véritable foule portant bannières, qui lui apporte affection et réconfort après son conflit perdu contre un Studio de cinéma, alors tout puissant, qui a oublié les artistes, considérés comme les chevaux d’une « écurie » (c’était le terme alors employé) : on les nourrit mais ils doivent galoper et se taire !

Il vivra là les deux dernières années de sa courte vie avec sa femme, ses quatre enfants, (outre nurses, chiens, canari et tutti quanti) dans l’immense maison, (aujourd’hui Ambassade de Chine) que Mussolini avait offerte au Maréchal Badoglio, où il tiendra avec générosité et profusion table ouverte à tout ce qui compte en Italie et à ses amis et proches d’Amérique.

Il tournera en Italie deux films (Les Sept collines de Rome et La Fille de Capri –« Come Prima » – ) et enregistrera avec l’Orchestre de l’Opéra de Rome sous la direction du maestro Franco Ferrara et sur des arrangements somptueux du jeune Ennio Morricone, un « must » pour RCA Victor.

 Il s’agit du fameux CD : « MARIO AT HIS BEST ! », recueil de « Grands airs napolitains », (Dicitencello Vuie, Tu ca nun chiagne, Voce e notte, Canta pe’ me, Passione, Na sera è Maggio…), mélodies souvent sombres, profondes et pleines de poésie.

Aucun chanteur d’opéra ne peut se lancer dans ce répertoire sans avoir écouté ce magnifique enregistrement, avec ce que les mots apportent d’émotion à la voix et avec l’émotion dont la voix charge les mots.

lisation d’anthologie, l’on envisage alors les prochaines saisons à l’opéra, à Rome ou au San Carlo de Naples, et l’on examine les propositions de chefs tels que Victor de Sabata, Gaetano Merola etc…

Son accompagnateur habituel, le pianiste et chef d’orchestre Constantine Callinicos écrit dans son livre « The Mario Lanza Story »[5] qu’à la fin sa voix n’avait jamais été aussi belle, claire mais dramatique, comme assombrie par son propre vécu (quel Otello dans cette voix [6]!) et qu’elle lui donnait le frisson. Quant aux musiciens, curieux et impatients d’entendre la voix en live, ils seront conquis, et font dédicacer à Lanza les disques qu’ils ont achetés.

Richard Mohr, fameux Directeur artistique de RCA VICTOR (BMG SONY), lui adresse d’Amérique un télégramme de félicitations pour ce  bel enregistrement où l’émotion est partout, servie par une diction parfaite, une voix unique, aisée et riche, pleine  de son histoire et de son vécu, où la puissance – impressionnante pour tous ceux qui ont entendu Lanza « en vrai »-, se trouve retenue par une sorte de réserve intérieure et profonde (Mario Lanza n’était-il pas l’homme qui s’est un jour recueilli dans une chapelle sur la route du studio à Hollywood avant d’enregistrer des airs religieux ou de nature spirituelle ?

Après cette réaLes rôles ? Un André Chénier, les deux arie qu’il a enregistrées sont éblouissantes ; une Tosca, Pagliacci, Cavalleria Rusticana (son « Addio alla madre » arrache le cœur) ; une Traviata,..

Viennent aussi outre deux projets de films, dont l’un en préparation avancée, autour de Pagliacci (« Laugh clown, laugh ! ») ; des projets d’enregistrements d’opéras complets, des disques…

Mais tout a une fin. Même l’espoir et même les rêves.

 Alors que sa sortie de la clinique est programmée pour ce 7 octobre 1959 ou pour le lendemain, une lumière s’allume sur le tableau de surveillance de la Clinique Valle Giulia : celle de la chambre 404, et les médecins comprennent vite que c’est grave. Tout le monde se précipite au 4ème étage pour prodiguer des soins ultimes à celui dont le cœur est en train de lâcher sous l’effet d’une phlébite rampante sur un corps fatigué auquel on a trop demandé, même dans cette clinique, et lui-même le premier ne s’est pas ménagé….

L’homme jeune et puissant, mais en énième cure de repos et d’amaigrissement pour le cinéma (et…ses assureurs) n’a pas cessé d’ignorer les signaux d’alarme d’un corps épuisé et tout vient de basculer en un instant, alors que le matin même on l’a entendu chanter dans sa chambre…

Mais ne disait-il pas, le jeune américain, « la vita è breve, la morte vien » ?

Certains, paraît-il, demandent encore à visiter la chambre 404, au 4ème étage de la clinique où l’homme qui vivait pour le souffle de l’émotion rendit le sien, dans la Ville Éternelle, ce jour-là, vers midi, à l’heure où le soleil brille haut dans le ciel. Au zénith.

 Marcel AZENCOT

 

 

 

 



« All of the current crop of stars should tip their hats to the trailblazing success of Mario Lanza, who proved to the world that it was possible for a tenor to storm the pop charts » ( “ Classic FM, 50 Moments that Rocked The Classical Music World, p.187… et 185 et 186, Darren Henley & Sam Jackson,  Ed. Elliott and Thompson, Londres 2014 ) (“Toute la moisson actuelle de  stars devrait tirer son chapeau au succès flamboyant de Mario Lanza qui prouva au monde qu’un ténor pouvait révolutionner le “box office”).

« Koussevitsky, assis près de moi, était si ému que les larmes commencèrent à rouler sur ses joues, comme cela arrivait dans les moments d’intense émotion ». « Caruso redivivus ! Caruso redivivus ! (« Caruso ressuscité » en latin) me murmura-t-il, extatique, pendant qu’il s’essuyait les joues. Il était dans un état de joie suprême à la pensée que sa « découverte » était authentique, une addition sans prix au monde de la musique, et que sa première et favorable impression, n’était pas erronée ».

[3] Goldovski, My Road to Opera, Houghton Miflin, Boston 1979, p. 215-216

[4] eod.loc.

[5] Comme en témoigne le superbe CD Arie and Duets, CD RCA-BMG-SONY (Airs d’Otello, avec Licia Albanese, d’André Chénier, de Madame Butterfly, avec Elaine Malbin, de la Bohème de Leocavallo etc…

 

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