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Ecouter Mario Lanza

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Dicitencello Vuie
Verdi: OTELLO "Dio mi potevi"
Na sera e maggio
Serenade de Romberg
Leoncavallo: LA BOHEME
Giordano: ANDREA CHENIER














Roberto Alagna rend hommage à Mario Lanza


Dans son autobiographie « Je ne suis pas le fruit du hasard » parue chez GRASSET en 2007, Roberto Alagna évoque le choc et l’émotion qu’il a ressentis en découvrant Mario Lanza.  Du début à la fin, son livre est jalonné de références à cet immense artiste. Comme Pavarotti, Domingo, Carreras, Tebaldi, Callas et bien d’autres avant lui, Roberto Alagna sera lui aussi subjugué par la  splendeur de la voix de Lanza et par le charisme du ténor.

Voici quelques passages :

« Un soir ma mère prépara religieusement son magnétophone pour enregistrer une émission à la télévision. Quand je lui demandais de quoi il s’agissait, elle prit un air malicieux et me dit : « Regarde bien, je suis certaine que ça va te plaire. » Je pris ma place habituelle sur une chaise, et, soudain une voix somptueuse retentit. C’est Mario Lanza, me dit ma mère, qui joue le rôle de Caruso. Aucun de ces deux noms ne m’était encore familier, mais ce que je découvrais sur l’écran me combla de joie.

Le Grand Caruso, film américain tourné en 1951, retrace, sur un mode très romanesque, la vie du ténor mythique qui débuta à Naples à la fin du XIXème siècle : amoureux de Musetta, Caruso est rejeté par la famille de la jeune fille parce qu’il est chanteur ; quelques années plus tard, alors qu’il triomphe au Metropolitan Opera de New York, il songe à épouser Dorothy, la fille d’un des mécènes de l’opéra. Une nouvelle fois, le père de son aimée le rejette : il a un physique de paysan, il chante trop fort et se montre exagérément sentimental. Esclave de son talent, le malheureux n’épousera jamais la femme qu’il aime. Retenu par un engagement, il ne pourra même pas se rendre au chevet de sa mère, le jour de sa mort.

Pour Mario Lanza, un bel italien au physique solaire, chaque épisode était l’occasion d’entonner un nouvel air, de montrer toutes les possibilités de sa voix éclatante, de suggérer le bonheur, comme le drame. Je restais immobile tout le temps du film, incapable de détacher les yeux de ce surhomme, dont la voix faisait vibrer mon cœur. Je reconnus plusieurs des airs que chantaient mes oncles, mais c’était la première fois que je les entendais avec les accompagnements d’un grand orchestre. Jamais je n’avais encore mesuré l’abîme qui pouvait séparer la belle voix d’un amateur de la performance d’un ténor comme Mario Lanza, cette façon de chanter, sans paraître exercer le moindre effort.

Après les dernières images du film, nous restâmes un long moment silencieux, sous le choc. Ma mère avait les larmes aux yeux. Sans mot dire, elle rembobina la bande et réenclencha l’appareil : un petit clic et la voix de Mario Lanza s’éleva à nouveau dans la pièce. La musique du film me hanta une grande partie de la nuit. J’avais peur de l’oublier si je m’endormais. Je me rassurais en pensant que ma mère l’avait enregistrée ! Heureusement je n’avais pas classe le lendemain. J’emportai le magnétophone dans ma chambre, et enclenchai la cassette. L’orchestre commença à jouer, puis la voix de Mario Lanza s’éleva. Je l’écoutai en fermant les yeux, m’immergeant dans la musique. Puis j’enroulais de nouveau la cassette, et m’abandonnai : j’entendis une voix s’élever. C’était la mienne. Debout, les pieds bien ancrés dans le sol, comme j’avais remarqué que se tenait le chanteur dans le film, je chantai de toute mon âme. J’éprouvais un sentiment d’intense libération. »

Lorsque le jeune Roberto envisagea d’entreprendre une carrière de chanteur d’opéra, sa mère lui rappellera sa position : « Regarde ton arrière-grand-père, regarde ton grand-père, regarde ton oncle : ils n’ont pas réussi à faire de leur passion un métier. C’est une profession beaucoup trop difficile, inaccessible pour quelqu’un comme toi qui ne connaît personne. » Ses oncles qui avaient pourtant de belles voix de ténor, lui déconseillèrent cette carrière. « Tout le monde sait, me dit mon oncle Salvatore, que les ténors meurent jeunes. Souviens-toi de Mario Lanza, de Caruso. Cela demande tellement d’efforts que le corps ne résiste pas. »

C’est à Philadelphie, ville natale de Mario Lanza, et Ville d’art et de culture, que Roberto Alagna passa le Concours Pavarotti. Il raconte encore sa « rencontre » affective et virtuelle avec Lanza :

« Lors du Concours Pavarotti, en octobre 1988, nous logions avec mon père qui m’accompagnait, chez l’habitant dans une maison de deux étages située dans une rue tranquille du vieux Philadelphie. Dans l’escalier qui descendait à la cuisine je remarquais des photos de chanteurs d’opéra ; je reconnus Caruso, Lanza, Pavarotti. Alors que nous étions en train de déjeuner, notre hôtesse nous demanda : « Voulez-vous voir le quartier où grandit Mario Lanza ? A moins que vous ne soyez fatigués à cause du décalage horaire ? » C’était mal nous connaître.

« Alfredo, Arnoldo Cocozza, dit Freddie, fils unique d’immigrants italiens, vécut en plein quartier italien dans le sud de la ville ; l’immeuble avait été rénové, mais je me remémorai les récits de mon arrière-grand-mère sur les conditions de vie des immigrants italiens à New York. Les habitations insalubres, le bruit, les rats dans les rues, et les cafards, mais aucun de ces inconvénients n’aurait pu entamer la joie qu’ils éprouvaient de se retrouver sur cette terre promise. De la porte ouverte d’une épicerie me parvint une musique napolitaine.

Le jeune Freddie avait découvert Caruso en écoutant des enregistrements conservés par son père. « C’est ici qu’il prit conscience de sa voix, nous dit notre hôtesse. Mario Lanza, son pseudonyme, vient du nom de sa mère, Maria Lanza. Je me souviens, quand j’étais jeune, du culte dont il était l’objet aux Etats-Unis, et particulièrement ici : dire que pendant toute sa carrière il douta toujours de lui-même. »

« J’imaginai le jeune homme dans sa chambre, chantant en même temps que Caruso, jamais satisfait, hésitant à se produire devant les autres. N’avais-je pas, moi aussi, découvert ma voix grâce à lui, n’étais-je pas constamment en train de douter ? Ne me manquait que son talent. Les épreuves commençaient le lendemain : je devais me reposer.

« Le lendemain, elle nous amena chez un barbier qui avait réuni dans sa boutique une collection de photos du ténor, où on le voyait notamment avec son professeur de chant Enrico Rosati, qui avait été celui de Beniamino Gigli, puis dans les innombrables rôles qui avaient fait sa gloire dont celui de Caruso. Notre mentor nous invita ensuite dans un restaurant dont les serveurs chantaient des airs d’opéra pendant leur service : des étudiants en art lyrique finançaient ainsi leurs études. Je n’osais pas toucher à mon assiette, de peur qu’ils ne commencent à chanter, et que je sois surpris la bouche pleine. Quelques instants après, Be My Love s’éleva dans le restaurant, chanté par Mario Lanza, et les jeunes gens firent cercle autour de nous. Ce fut un de mes derniers moments de détente avant le début des éliminatoires.

« Influencé dès l’enfance par Le Grand Caruso, je m’étonne toujours que l’opéra, avec ses stars planétaires, ses mises en scène spectaculaires, ne fasse pas plus souvent l’objet de films ou de retransmissions télévisées. D’innombrables amateurs de Bel Canto, comme ceux de ma famille, continuaient à ne pas oser entrer dans un opéra, lieu prestigieux et intimidant qu’il faut tout faire pour, je ne dirais pas « démocratiser », mais mettre à la portée de tous. L’opéra n’est pas un art réservé aux riches et aux puissants : c’est un art d’enthousiasme, et l’enthousiasme est la chose la mieux partagée du monde dans tous les milieux, pour paraphraser Descartes.

Luciano Pavarotti, en apparaissant dans des shows qui n’étaient pas consacrés à la musique lyrique, avait contribué à rajeunir l’image de l’opéra, et nous avait ouvert la route : notre génération, celle d’Angela Gheorghiu et de Cecilia Bartoli, habituée à l’image, a découvert de nouvelles façons de jouer. Les personnages sont devenus crédibles : Alfredo peut tomber amoureux de Violetta, Cavaradossi de Tosca. »

Rappelons que la maison natale de Mario Lanza existe toujours à Philadelphie au 636 Christian Street. Elle fut habitée jusqu’aux années 1990 par une de ses tantes.

Un panneau de la Société Historique de la Ville de Philadelphie rappelle, en caractères or sur fond bleu, le lieu de naissance de l’illustre artiste (Voir photo dans la rubrique Mario Lanza, ténor de légende).