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Ecouter Mario Lanza

Leoncavallo : VESTI LA GIUBBA
Dicitencello Vuie
Verdi: OTELLO "Dio mi potevi"
Na sera e maggio
Serenade de Romberg
Leoncavallo: LA BOHEME
Giordano: ANDREA CHENIER














Les couleurs de l’âme


Emmanuel Bellanger, jeune compositeur français et membre de notre association Opera Club de Paris Mario Lanza, étudie avec des scientifiques les effets de la musique, voix humaine comprise, sur les émotions. Avec force courbes et appareils, on tente ainsi d’évaluer les battements de cœur, poussées d’adrénaline et autres frissons provoqués par un médium somptueux, un contre-ut vertigineux, un mouvement symphonique, un concerto ou une sonate pour piano et violon.

Croyance en la nature physique ou chimique des sentiments ou de l’esprit ? Pas vraiment, Emmanuel Bellanger est spiritualiste et je m’en réjouis.

Le fait que la chimie ou l’électricité serve au processus qui aboutit à un vécu affectif, à une émotion, ne le gêne pas. Peu importe le vecteur, pense-t-il, avec Bergson, l’émotion ou les phénomènes de l’esprit ne se résument pas à la chimie ou aux électrons qui les rendent possibles, ils existent en eux-mêmes.

Il n’empêche, dira-t-on, il y a quelque chose de gênant à assimiler l’émotion et la sensibilité à des formules physico-chimiques qui prétendraient les décrire, un peu comme si on réduisait l’essence des larmes à une analyse d’eau salée.

Nous savons bien qu’il y a autre chose, n’est-ce pas ?

Quand Pilar Lorengar, merveilleuse soprano espagnole, chante Rusalka (la Sirène) de Dvorak, on comprend que la beauté de sa voix est d’abord celle d’une âme belle, digne, sombre et réservée, qui lui donne les couleurs et la « signature » de son humaine individualité.

Quand Maria Callas, qui a personnifié plus que toute autre cantatrice cette vérité essentielle du chant, à savoir que la voix laisse la place à l’être, à l’humain, à ce qu’il porte de destin individuel, sa mort nous bouleverse mais ne nous surprend pas. On la sentait déjà promise ou annoncée dans ses Norma ou ses Lucia, et ses partenaires de scène ou de disque, même les plus prestigieux, semblaient déjà s’incliner devant ce qu’ils pressentaient de fatal

Ainsi de Caruso, qui crache le sang, ou de Leonard Warren qui s’effondre, mort, en 1960 sur la scène du Metropolitan Opera de New York (le croiriez-vous ? il chantait…. la Force du Destin…).

Ainsi de Mario Lanza qui vocalise dans sa chambre de la clinique Valle Giulia, à Rome, au grand bonheur des médecins et du personnel, le jour de sa sortie après une cure d’amaigrissement, … et qui meurt dans la demi-heure d’une embolie pulmonaire.

Ainsi de Kathleen Ferrier, tragédie faite femme, dont la jambe se disloque sur scène sous l’effet de sa maladie et qui continue de chanter, livide de pâleur mortelle, de sa voix d’alto insurpassable et bouleversante : elle mourra dans quelques jours.

Même Molière, notre bien aimé Mozart du théâtre, ne nous émeut pas autant que ces artistes d’opéra lorsque, encore sur scène, il entre dans l’antichambre de la mort ! Sans doute, parce qu’il ne chantait pas…

Il y a, en effet, dans le chant, plus que les sons et l’harmonie que porte l’air, plus que les paroles, plus que la beauté des poêmes qui supportent la mélodie, il y a des ondes de vérité qui viennent des tréfonds.

Pensez à Thomas Quasthoff, baryton magnifique qui chante les Liederkreis et Dichterliebe de Schumann (RCA Victor, Red Seal) d’une voix de chaude tristesse dont l’aigu final bouleverse dans « Ich grolle nicht », véritable joyau de 1,26 minute.

Pensez à Alfredo Krauss, gentleman humain et vocal, sensibilité d’un homme de bien, élégante pudeur des sentiments (« E il sol dell’ anima », de Rigoletto, les Arie antiche…).

Pensez à Mario Lanza, ténor sublime dont chaque note semblait consumer un peu plus la vie (cet homme unique se brûlait-il à son propre chant comme les ailes de Dédale à l’approche du soleil ?).

Inversement, écoutons le magnifique Robert Merrill, grand baryton du Metropolitan (il conseillait vocalement son ami Frank Sinatra) : sa superbe voix d’airain est celle d’un homme heureux, c’est ainsi, et même ses rôles les plus noirs ne parviennent pas à donner le sentiment de la tragédie, comme si dans Otello, Iago, dans un clin d’œil, nous disait : « Vous savez, je chante aussi « Le Violon sur le Toit* » !

C’est d’ailleurs ce qu’il nous dit dans l’émouvant Prologue, véritable poème, de Paillasse (I Pagliacci)Le lacrime que noi versiam son false !», « les larmes que nous versons sont fausses » !).

Ecoutons maintenant le même Prologue de « I Pagliacci » par Léonard Warren : sa gorge ne résonne pas de gloire, comme celle de Merrill, mais quand sa voix torturée chante (en italien**) :

« Un nid de souvenirs,
au fond de l’âme,
chantait un jour »

et pour finir,

« Nos âmes
Veuillez considérer,
Car nous sommes des hommes
De chair et d’os,
Et que de ce monde orphelin,
Tout comme vous,
Nous respirons l’air » !,

la voix nous a déjà tout dit avant que les mots ne l’expriment.

Entre le splendide et l’humain, impossible de choisir; alors on écoute les deux, selon l’humeur et le moment, et on les aime tout autant l’un que l’autre, sans pouvoir les départager, à la fois pour ce qu’ils ont… et ce qu’ils n’ont pas.

Marcel AZENCOT

*Ce n’est pas qu’une figure de style : après avoir pris sa retraite du Met, Robert Merrill a fait une belle carrière à Broadway dans « Le Violon sur le Toît ».

**« Un nido di memorie,
In fondo a l’anima
Cantava un giorno »
« … »
« E voi, piuttosto
Che le nostre povere
Gabbane d’istrioni,
Le nostr’ anime,
Considerate,
Poiché siam uomini
Di carne e d’ossa,
E che di quest’orfano
Mondo al pari
Di voi spiriamo l’aere ! »