Rechercher





Ecouter Mario Lanza

Leoncavallo : VESTI LA GIUBBA
Dicitencello Vuie
Verdi: OTELLO "Dio mi potevi"
Na sera e maggio
Serenade de Romberg
Leoncavallo: LA BOHEME
Giordano: ANDREA CHENIER














Retour aux rives Italiques


Etrange cycle que la vie de Mario Lanza, singulier retour aux sources !

Né à « Little Italy », quartier italien de South Philadelphia, en Pennsylvanie, parvenu au zénith de Hollywood, il faisait entrer l’Opéra dans des millions de foyers par le cinéma, les disques et les concerts, puis il rompait avec la Metro Goldwyn Mayer, dont le vieux Mayer, son protecteur, avait été écarté, et quittait l’Amérique pour l’Italie, faisant le chemin inverse de celui de son père, émigrant italien pensionné de la Première Guerre Mondiale.

Arrivé à Rome, avec sa femme et ses quatre enfants, il ferait de l’Italie la base de ses concerts en Europe et de ses deux derniers films, évoquerait en interview télévisée les projets d’Opéra qui lui étaient offerts pour 1960, avant de mourir brutalement des suites d’une phlébite le 7 octobre 1959 à la clinique romaine de Valle Giulia, alors même qu’il s’apprêtait à en sortir après une nouvelle et épuisante cure d’amaigrissement, à l’âge de 38 ans*.

Ce jeune américain au charisme intact près de cinquante ans après sa mort, nous bouleverse par son exceptionnel talent et sa voix proprement unique, miroir de son âme par delà la beauté.

Mais Mario Lanza était aussi un fidèle, et s’il est vrai que nous sommes tous un peu italiens, lui l’était dans son être, avec son respect pour le legs culturel et musical du pays de ses parents, et sa fascination pour son histoire, le coeur de ses hommes et de ses femmes, leurs amours, leurs misères, leur solitude, leur exil, leur force de vie, leur renaissance et les rites de leur mort.

Lanza, en un mot, s’était fait inconsciemment le devoir de témoigner d’une civilisation.

Il allait avaler goulûment l’Italie et sa langue, déjà un peu la sienne, et son oreille et sa diction parfaite, exemplaire même, allaient faire merveille: accents toniques sur les mots de sens, langues et dialectes de terroir appris d’une oreille infaillible (il était excellent imitateur !); voir et entendre les poèmes dits, vécus, endurés, chantés d’un cœur parfait, d’une voix aux couleurs mutantes, vibrant avec le texte et la musique à servir, avec l’heure du jour, l’humeur du soir, l’ouverture de blessures, le retour des démons ou la joie du moment.

Et ce serait, en vrac, en plus des Opéras italiens qu’il connaissait par coeur, l’Italie des mélodies, de ces grands airs tristes et de ces chansons où même la gaieté porte le poids de sa mélancolie (Malinconia, Ninfa Gentile, comme aurait dit Bellini): « La Mia Canzone » (« Ora che tu sei sola adormentata / la mia canzone e un fremito d’amore, un fremito d’amore»), le superbe « Serenata » et certaines notes indescriptibles, qui vous remuent d’émotion ! ou l’amour serein du merveilleux « Ideale » («Io ti seguii come iride di pace, lungo le vie del cielo»), Je t’ai suivie comme l’arc en ciel, le long des voies du ciel », / «e ti sentii nella luce, nell’aria, nel profumo dei fiori » / « et je t’ai sentie dans la lumière et dans l’air, et dans le parfum des fleurs ») ; ou l’âme en souffrance (« Senza Nisciuno ») ; ou l’amour d’un portrait, celui d’une femme très belle, jadis aimée, « Vaghissima Sembianza » (« d’Antica donna amata »); Santa Lucia… (voir Mario Lanza, The Great Caruso and other Caruso favorites », BMG RCA VICTOR).

Les plus grands ont chanté ces airs, Caruso, Schipa, Bjoerling, Bergonzi, Domingo, Pavarotti, Carreras, Leech, et on les aime et on réécoute avec bonheur leur interprétations, qui sont dans le commerce et dans nos discothèques.

Mais lorsque les sons et les mots sortent de la bouche et de la gorge de Lanza, l’art est dépassé, le Chant se fait tour à tour archange, innocence, gravité, espièglerie, tourment, damnation dans la « Force du Destin », sérénité du rachat par la foi, c’est selon, mais toujours, tous les mots, tous les vers, toutes les mélodies, nous parviendront marqués de tristesse.

Et cet enchantement qui devrait être le propre du chant, sa matrice verbale et émotionnelle, il allait l’offrir au monde et à cette Italie qu’il ralliait, comme son illustre ancien, par la lente voie des mers, car de tous temps, pour les hommes au coeur lourd, le départ et l’exil se sont confondus avec la mer.

« Santa Lucia Luntana », priaient les miséreux quittant Napoli, les yeux fixés jusqu’aux larmes sur la ville qui s’éloigne au couchant, à l’heure où montent les senteurs de la terre et où s’éteignent les bruits de la vie, et que l’on doit quitter sa maison et ceux que l’on aime.

Dans cet océan de peine, la mer, la mer seule est à la mesure du chagrin, elle berce leur éloignement et la détresse de leurs coeurs, jusqu’aux terres étranges et étrangères où elle les porte.

La mer, encore, qui a charrié les débris d’humanité, limons de l’Europe, vers la rive américaine où les accueillerait le poème d’Emma Lazarus gravé sur le socle de la Statue de la Liberté, « Mère des Exilés » appelant à elle de « Ses lèvres silencieuses » les rebuts des plages du Vieux Monde pour en faire les sédiments d’une nation neuve: « Donnez-moi vos « Pauvres, vos Fatigués », vos « Naufragés de la Vie », ceux que la « Tempête a battus « , vos « Sans Foyers » ! « Je « Lève ma Torche vers la Porte d’Or »** !

Mario Lanza, lui, rachetait l’exil des siens à sa Terre Promise, celle que lui avait chantée la voix de Caruso et vers laquelle, comme Caruso, il s’en revenait, cherchant à la proue du navire l’horizon de son rêve, dans un voyage où l’espace s’étire dans la solitude et le temps, épreuve initiatique de décantation du chagrin et de purge de l’âme.

Enfin, tel un prince de retour au royaume paternel, il abordait sur les rives italiennes où il vivrait les deux dernières années de sa courte vie. Là, il citait son passé à comparaître au Tribunal de ses pères et,  tel « le Prince d’Aquitaine à la tour abolie », il revendiquait « le Pausilippe et la Mer d’Italie ».

La Vieille Rome, à laquelle il devant tant, prit alors conscience qu’elle lui devait tout autant, et qu’en peignant l’Italie des couleurs de l’humanité, le chant de Mario Lanza la payait au centuple.

Ses musiciens l’acclameraient, comme à l’Opéra de Rome lors de mémorables séances d’enregistrement, les « maitres de chant » et directeurs d’Opéra, les chefs d’orchestre, conquis, comme le Maestro Victor de Sabata, lui proposeraient de chanter André Chenier, Otello, Pagliacci, à la Scala, à Milan, à l’Opéra de Rome, au Théâtre San Carlo de Naples (qui avait sifflé le jeune Caruso).

Autant de projets qui, au milieu de cette reconnaissance, l’aideraient encore à survivre.

Puis son feu intérieur finirait par consumer sa vie, et il s’en irait ce début d’après midi du 7 octobre 1959, après ses exercices de chant du matin, que se rappelle, d’une voix étranglée de larmes, le médecin de la Clinique, dans le beau film de Mark Kidel, « Singing to The Gods » (diffusé sur la BBC en 2007 et encore en novembre 2009, sur ARTE).

Le poème de d’Annunzio*** qu’il chantait sur la musique de Tosti, devenait prophétie, E l’ora di morire !Morir debbo/ Veder non voglio il giorno/Per amor del mio sogno et della notte! (C’est l’heure de mourir, Mourir je dois, Voir le jour je ne veux, Pour l’amour de mon rêve et de la nuit !)

Et, sous le choc de sa mort, l’Italie où, comme Caruso encore, il était venu exhaler ses derniers souffles, lui ferait des obsèques de chef d’Etat, en ultime manifestation d’amour et de respect.

Aujourd’hui encore, elle paye les échéances de sa dette de coeur: manifestations multiples, festival annuel de chant Mario Lanza, livres, sites internet, débats passionnés; ses ténors lui rendent hommage, et Pavarotti, le premier, qui confessait : «Sa voix n’était pas seulement magnifique; elle était fantastique »; et encore : « Devant un miroir, j’essayais de l’imiter »; ou Carlo Bergonzi, le maître du Bel Canto, qui confesse… avoir collectionné les affiches de ses films et plus de 100 photos de Mario Lanza !

Et Di Stefano, qu’il admirait tant et qui nous quitte à son tour: « Si seulement Mario Lanza avait pu s’extraire de son enveloppe pour s’entendre chanter, il aurait su combien il était grand «  !

Quant au poète***, chantre de l’éternel recommencement, il lui offrit rien moins que le Chant de la Vie, afin que, tel Orphée sortant des Enfers, il pût, sur sa lyre, chanter les vers de sa renaissance, Ma che dal sangue mio, nasca l’aurora, E dal sogno mio breve, il sole eterno  » (Mais que de mon sang naisse l’aurore, et de mon songe éphémère, le soleil éternel) !

Tel fut le destin de Mario Lanza, fils de l’Amérique, petit-fils de l’Italie, sur la terre de ses pères.

Au terme d’un long périple en lui-même, il avait trouvé son Cimetière des Éléphants.

Marcel AZENCOT

*Après des obsèques quasi royales à Rome, son corps fut transporté et exposé dans sa ville natale de Philadelphie, au défilé de plusieurs milliers de personnes, dont une femme qui mourut d’une crise cardiaque à la vue de son corps, tragédie dans la tragédie; puis ses troisièmes obsèques eurent lieu à Hollywood.

Il repose dans la chapelle du cimetière Holy Cross de Culver City, auprès de son épouse Betty, décédée cinq mois après lui.

**The New Colossus
Not like the brazen giant of Greek fame,
With conquering limbs astride from land to land;
Here at our sea-washed, sunset gates shall stand
A mighty woman with a torch, whose flame
Is the imprisoned lightning, and her name
Mother of Exiles. From her beacon-hand
Glows world-wide welcome; her mild eyes command
The air-bridged harbor that twin cities frame.
« Keep, ancient lands, your storied pomp! » cries she
With silent lips. « Give me your tired, your poor,
Your huddled masses yearning to breathe free,
The wretched refuse of your teeming shore.
Send these, the homeless, tempest-tost to me,
I lift my lamp beside the golden door! »
Emma Lazarus, 1883

*** Gabriele d’Annunzio, « L’Alba separa dalla luce l’ombra », poême mis en musique par Francesco Paolo Tosti