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Ecouter Mario Lanza

Leoncavallo : VESTI LA GIUBBA
Dicitencello Vuie
Verdi: OTELLO "Dio mi potevi"
Na sera e maggio
Serenade de Romberg
Leoncavallo: LA BOHEME
Giordano: ANDREA CHENIER














L’âme par delà la beauté


On ne dira jamais assez qu’une belle voix n’est pas tout dans l’art lyrique et qu’il faut d’abord une « voix « .

Mais même une « voix » ne suffit pas.

Derrière celle-ci, doit transparaître un tempérament, une personnalité, une homme ou une femme dans leur vérité, sans quoi le phénomène vocal restera cosmétique, celui de la beauté des mannequins sur papier glacé : on tourne la page et on passe à la suivante.

Mais il y a ceux et celles – ils sont très peu – dont la présence, l’être tout entier, s’exprime dans la voix, est la voix.

Pourquoi Maria Callas bouleverse-t-elle son auditoire, alors que des beautés chantantes nous laissent de glace ?

Pourquoi la voix d’Enrico Caruso nous parle-t-elle encore au delà du chant, avec ses de sonorités de noblesse populaire et de mélancolie ?

Et le cristal triste de Jussi Bjoerling, que nous disait-il ? Les fèlures de son enfance, le manque d’assurance, la peur de décevoir, qu’il essayait d’oublier dans l’alcool ?

Et Franco Corelli, dont l’angoisse asséchait la bouche, et qui devait sur scène garder un mouchoir trempé d’eau pour s’hydrater lèvres et langue et qui n’osait pas se présenter aux studios d’enregistrement où l’attendaient ses partenaires ?

Pourquoi ?

Quant à Mario Lanza nul doute qu’il ait éprouvé, sous des dehors parfois bravaches et des provocations qui n’étaient pas caprices, les mêmes peurs, cachées sous des abus de nourriture, de champagne, de Chivas et de femmes ?

L’amour de la cuisine italienne avait bon dos quand il fallait expliquer ses fringales et ses excès dus à son sentiment d’être privé de son destin de chanter l’opéra à l’opéra, d’être le prisonnier du cinéma et de ses contrats de fer; de ses combats avec les productions et les studios face la faiblesse des scénarios, ou pour y imposer des partenaires à sa hauteur artistique et vocale, ou des airs d’opéra qu’on lui comptait chichement dans les films (« les gens ne vont pas aimer », l’Opéra c’est trop compliqué ») ; de ses âpres négociations avec ses producteurs de disques pour éviter certains titres imposés…

Et les concerts qu’il devait, parfois, annuler comme à Las Vegas ou, interrompre, comme à lOlympia, après seulement cinq airs, alors que tout Paris s’était arraché les billets, mais que déjà la phlébite l’obligeait à passer en permanence d’une jambe sur l’autre pendant les récitals (c’est frappant et pathétique dans les quelques extraits diffusés sur YouTube et enregistrés on ne sait comment ni par qui, où la voix unique sort du corps d’un malade empesé et au regard timide et presque apeuré) .

Fatigue de l’âme qui brisait l’homme, sentiment du rendez-vous avec la mort pour l’année suivante (« Je chante chaque mot et chaque note comme si ma vie en dépendait, comme si c’était la dernière fois ») ? Et il fallait encore se relever le matin, avec une tête à faire peur, et faire l’effort de vivre jusqu’au soir du concert donné par le Variety Club, à Londres, devant plusieurs milliers de personnes et la Reine Elisabeth et la crème du monde international du spectacle, de l’économie et de la politique: «N’aie pas peur, Costa, je te promets que je pourrai chanter» dit-il à son accompagnateur et chef d’orchestre Constantine Callinicos, incrédule et mort d’inquiétude.

Et le soir, pour cette illustre soirée caritative, devant la Reine, et après Judy Garland qui se produisait en numéro 2, la voix incomparable de la star numero 1 ferait crouler le Théâtre sous l’enthousiasme d’un public d’ordinaire blasé !

Encore une fois, il avait vaincu ses démons, vaincu sa mort d’artiste et sa mort prochaine, et, dans la solitude, s’était élevé à sa propre hauteur.

Un répit.

Et au petit matin, quand « l’Aube, de l’ombre sépare la lumière», cette fois encore il ne dirait pas, avec d’Annunzio : « E l’ora di morire ».

Lanza chantait comme personne avant ni personne après lui.

Son éclectisme était naturel : si c’était beau, s’il était touché, il prenait et chantait.

Je pense à « I’ll Never Walk Alone » de Oscar Hammerstein, autre fils d’immigrant, dont il aimait les mélodies pleines de sens, (« with lyrics worth remembering », dit-il en présentant cette chanson aux « paroles dignes d’être retenues »).

Seul comptait le cœur.

Dans le même concert, il chanterait des « Arie Antiche » du 18ème siècle, des grands airs du répertoire des 19ème-20ème siècles, puis proposerait les grands standards américains (Hammerstein, justement, Rodgers & Hart, Sammy Cahn, Nicholas Brodzsky, Victor Herbert ou Victor Young (cf. le merveilleux concert à l’Albert Hall de Londres, « Mario Lanza, Live from London, RCA-BMG »).

Il chanterait aussi les mélodies mélancoliques irlandaises, et les grands poèmes de d’Annunzio sur des musiques de Tosti, grand mélodiste italien anobli par le roi Edouard VII et naturalisé citoyen du Royaume-Uni.