Rechercher





Ecouter Mario Lanza

Leoncavallo : VESTI LA GIUBBA
Dicitencello Vuie
Verdi: OTELLO "Dio mi potevi"
Na sera e maggio
Serenade de Romberg
Leoncavallo: LA BOHEME
Giordano: ANDREA CHENIER














Le sens d’une légende


La multiplicité des Associations et Sociétés d’Amis de Mario Lanza dans le monde entier a quelque chose d’unique: États-Unis, bien sûr, mais aussi Royaume Uni, Italie, France, Belgique, Pays-Bas, Russie, Japon, Australie, Canada, Amérique du Sud, etc…

Aujourd’hui, les artistes lyriques ont souvent leur propre site officiel et un ou deux « fan clubs » de leur vivant, sans plus, et même les grands anciens, comme Tito Schipa, ou Jussi Bjoerling, ou Corelli, ou Di Stefano (qui vient de nous quitter dans une indifférence et une « ignorance » – celle des ignorants – scandaleuses), ne jouissent pas d’une telle vigueur dans le souvenir actif des vivants (le cas de Pavarotti, dont la disparition est trop récente, est à mettre à part: l’homme infiniment populaire, sympathique et prodigieusement doué, est trop encore parmi nous par ses qualités et par les Média de notre temps, temps des Média, pour qu’on en fasse encore un mort glorieux et la machine économique n’est pas près de nous annoncer son décès).Aussi, de combien d’artistes vivants, devenus produits de promotion de leurs maisons de disques, à coup d’émissions télévisées, de publicités d’hypermarchés, d’interviews souvent complaisantes et de qualificatifs thuriféraires mal contrôlés, pourra-t-on dire qu’ils sont entrés dans la légende ?

Ceci n’enlève, d’ailleurs, rien au talent réel et parfois très grand, de bien des artistes et au plaisir d’écouter de belles voix actuelles d’hommes et de femmes, mais… pour ce qui est du grand frisson, les candidats ne peuvent être bien nombreux.

Pour pouvoir mettre les choses – et les voix – en perspective, rien de tel que d’écouter les artistes du passé proche et lointain, et de remonter dans le temps, ce qui est possible aujourd’hui grâce au traitement des vieux enregistrements, y compris de ceux des années 1905/1920, qui ont pu subir des traitements digitaux qui les ont, en partie, débarrassés de scories d’anciennes techniques d’enregistrement.

On a même, vers 2005, effacé la musique d’orchestre, devenue inaudible ou complètement distordue, d’enregistrements de Caruso, en conservant seulement la voix de celui-ci, puis un orchestre d’aujourd’hui a rejoué la partition, non sans grande difficulté car il fallait « se caler » sur la voix du chanteur. Le résultat est le plus souvent étonnant et agréable et permet de découvrir la superbe voix, sa chaleur, sa rondeur et le caractère chaleureux de l’homme et son humanité profonde, sans quoi il aurait été oublié. Bien des disques de Caruso se suffisent à eux-mêmes sans ce traitement, s’ils reproduisent des enregistrements proches de l’année de sa mort (1921).

Déjà la technique avait évolué et on trouve aujourd’hui beaucoup de CD de l’illustre ténor (Caruso a fait le disque et le disque a fait Caruso, a-t-on dit…).

Mais beaucoup d’autres très grands chanteurs et chanteuses, dans toutes les tessitures, peuvent nous enchanter maintenant que nous ne sommes plus obligés de rechercher et sauver de vieux 78 tours poussifs, rayés et poussièreux. Que dire alors des 33 tours ! Nous sommes déjà dans « notre temps », stéréophonie ou pas (curieux, d’ailleurs, comme ce dernier mot, qui signifiait la modernité du son, il y a 20 ou 30 ans, a pris un coup de vieux, on se croirait dans un film de Flash Gordon… Pardon, personne ne va comprendre !).

Mais revenons au coeur du sujet: on peut entendre les voix du passé dans des conditions très convenables, et c’est alors la surprise, le choc !

Ainsi, il y avait de grands chanteurs avant les émissions musicales de RTL et de… disons TF1 ? Il y avait de grands ténors avant Machin et Chose, et de grandes sopranos avant Biduline et l’autre, là, qu’on voit à la télé ? En 1950 ? Vous n’y pensez pas ! Quoi ? En 1930 ?, en 1920 ? Ce qu’il est drôle ! Comment dites-vous ? Tamagno? Gigli ? Schipa ? Lauri-Volpi ? Caruso ? Cela me dit quelque chose, ce n’est pas le rouquin des « Experts à Miami » ? Qui encore ? Zenatello? Martinelli ? Tita Ruffo ? Chaliapine ? Ezio Pinza ? Emmy Destinn ? Geraldine Farrar ? Rosa Ponselle, Lily Pons, Elisabeth Schumann, Frida Leider, Lotte Lehmann, Nellie Melba, Adelina Patti ?

Bon !

Quant aux années 50, elles apportèrent aussi leur lots de chanteurs et de chanteuses extraordinaires, et on y reviendra, sur ce site qui n’est pas un « fan club » et qui veut célébrer la voix humaine. Reportez vous donc au très beau livre de Matthew Boyden (Opéra, Une histoire en Photos - 1900-2000, en anglais « Icons of Opera », Editions Hors Collection en français et Brown Partworks Limited, 2001, en anglais), ce livre rend ou devrait rendre modestes ceux qui parlent d’Opéra et aussi certains de ceux qui le chantent et qui pensent que l’éternité est à eux parce qu’ils font la « promo » d’un disque et finissent par croire aux flatteries définitives du marketing et aux complaisances de thuriféraires.

On apprend, en s’intéressant à ces immenses artistes, quelle peine et quel travail ils s’imposèrent pour dominer leur art, Caruso, d’abord baryton et à qui il fallut plusieurs années de travail pour devenir ténor, Bergonzi, de notre temps (encore longue et heureuse vie, Maestro !) qui faisait carrière comme baryton avant de pousser un jour une note de ténor et de recommencer à travailler pour refaire sa voix dans ce nouveau registre, et tant d’autres !

Alors, qu’au moins les « pros », dans leurs magazines ou leurs émissions spécialisées se souviennent et célèbrent les grands qui nous quittent, comme l’immense Giuseppe Di Stefano, dont le décès récent n’a fait la Une d’aucun journal, d’aucune revue spécialisée, ou Teresa Stich-Randall, qui a tiré sa révérence en 2007, ou Robert Merrill en 2004, ou Alfredo Kraus, l’élégance humaine et vocale, parti en 1999, ou le grand Franco Corelli, mort en 2003, ou Gérard Souzay, merveilleux baryton français, décédé en Août 2004, (C’est le Guardian, de Londres, qui a immédiatement célébré Gérard Souzay dans un article très élogieux: « he is sure to be remembered while intelligent and beautiful singing is recognised as such »; et tout est dit).

Ceux là resteront, et restent, autant que l’on peut en juger maintenant, alors qu’ils avaient achevé leur carrière et que leur discographie importante passionne les amateurs et tous ceux qui les découvrent.

Et puis, et enfin, il y a les météores, ceux qui, en passant brièvement, nous ont donné une idée du Ciel et ont continué leur course au firmament pour passer de l’Autre Côté, en nous laissant l’immense regret de ce qui aurait pu être, tels Fritz Wunderlich, ange de l’opéra allemand, parti à 36 ans, ou Kathleen Ferrier, emportée à 41 ans, la voix de contralto qui vient des profondeurs, le « Chant de la Terre », dévorée de maladie et qui se brisait littéralement sur la scène cependant que Bruno Walter tâchait d’adoucir ses derniers mois et s’émerveillait de la voir atteindre des « sommets de solennité » …ou encore, et avant tous, Mario Lanza, astre incandescent dont la passion a brûlé la vie, mort à 38 ans, et qui continue de nous sublimer à l’écoute de son âme, presque cinquante ans après sa mort.

Des miracles…Et à cet égard, le phénomène Lanza n’a pas d’équivalent pour un artiste mort il y a un demi-siècle (Seigneur …).

Dans son cas, pas de commémoration de nostalgiques du bon vieux temps, les bataillons d’amateurs et de découvreurs de la glorieuse voix se reforment en permanence, dès que de nouveaux coeurs, à son écoute, succombent à l’émotion; c’est le vrai mystère d’une « survivance », au sens de ce qui « reste » et s’impose dans la permanence et l’évidence.

Et en un temps où l’oubli frappe l’artiste qui cesse de se montrer à la télévision pour la promotion de son dernier film, de son dernier disque, de son dernier spectacle, de son dernier livre, ou de celui qu’il n’a pas encore écrit, une telle force de vie de la part d’un artiste mort en 1959 impose de prendre le temps de s’interroger sur la survie mystérieuse de certains êtres d’exception, en dépit de ce qui fait la condition humaine et de l’oubli qui est le propre du temps, et du temps qui est le propre de la vie (et qui résume à lui seul toute la métaphysique, le reste est foutaise).

Or l’étrange est que là où la mode balaie le succès, quand la flatterie inconstante et lasse cherche du regard des proies nouvelles, certains restent par delà la mort, sans pub ni promo, et le temps, au lieu d’effacer leurs traces, les fortifie au contraire et les met en lumière.

Serait-ce parce qu’ils sont morts jeunes, « tels qu’en eux mêmes l’éternité » les fige (James Dean, Marylin Monroe, Maria Callas, Mario Lanza, John et Robert Kennedy, Martin Luther King)?

Mais suffirait-il de mourir jeune pour continuer à vivre ?

Il y a sûrement autre chose…

Peut-être que l’explication de ce mystère est que la « légende » n’est autre chose que la gratitude renouvelée des générations, et que sa dimension « d’éternité », autant qu’on puisse en parler à notre échelle réduite, ne se donne qu’à ceux qui se donnent et non à ceux qui prennent; qu’elle sert ceux qui servent et non ceux qui se servent; qu’elle fuit la fausseté de ceux qui la cherchent, pour la vérité de ceux qui la fuient; peut-être enfin qu’elle méprise la volonté de puissance, l’orgueil et l’ambition pour trouver refuge dans les tréfonds de l’humilité et pour élire sa résidence là où personne ne triche, dans les coeurs et les âmes des êtres clairs.

Tout au moins, est-il est réconfortant de le croire.

Marcel AZENCOT