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Emission Arte lirica du 12 mai 2019

avril 12th, 2019 par Alain Fauquier


Affiche Di Sefano-portrait

Nous rendons hommage aujourd’hui au grand ténor italien Giuseppe Di Stefano, tragiquement disparu à Milan le 3 mars 2008 des suites d’une terrible agression survenue quatre ans plus tôt au Kenya où il séjournait dans sa résidence familiale.

Pour les mélomanes du monde entier, le nom de Di Stefano est indissociable de celui de Maria Callas dont il fut le partenaire principal pendant de nombreuses années.

Après leur première rencontre en 1951, lors d’une représentation de La Traviata à São Paulo, dirigée par le maestro Tullio Serafin, ils multiplièrent ensemble, scènes d’opéra, concerts et séances d’enregistrement.

La voix de Di Stefano était, à son zénith, l’une des plus grandes et des plus radieuses du monde de l’opéra et sa carrière demeure probablement unique, en ceci qu’il était déjà sur le déclin, à 39 ans, lorsqu’il accéda à la gloire internationale.

Les enregistrements que nous allons vous faire écouter, ont été réalisés à une époque où Di Stefano était dans la plénitude de ses moyens vocaux.

Du premier acte de Rigoletto de Verdi, on écoute Giuseppe Di Stefano et Maria Callas dans le duo « E il sol dell anima, la vita è amore » (L’amour est le soleil de l’âme). Un enregistrement réalisé à La Scala de Milan en septembre 1955. L’orchestre est dirigé par Tullio Serafin.

Giuseppe Di Stefano est né le 24 juillet 1921 à Motta Sant’Anastasia, une commune de la province de Catane sur la côte est de la Sicile.

Il est le fils unique d’un officier, devenu cordonnier après la guerre, et d’une couturière. De condition modeste, ses parents font de gros sacrifices pour qu’il puisse suivre des cours de chant dans un séminaire de Milan.

A l’âge de 17 ans, Il chante dans des cafés, des restaurants et des cinémas de Milan et remporte deux concours de chant, l’un à Milan et l’autre à Florence.

En 1940, il prend des cours de chant avec le baryton Luigi Montesanto.

Mais ses études seront interrompues par la guerre. Pendant trois ans, Di Stefano sera prisonnier en Allemagne.

Il s’évadera en 1943 et passera en Suisse où il sera accueilli dans un camp de réfugiés à proximité de Lausanne. La direction de Radio-Lausanne le remarque et le fait participer à des émissions.

À la fin de la guerre, Di Stefano revient à Milan et reprend ses leçons de chant avec Luigi Montesanto.

En avril 1946, il enregistre un disque de chansons italiennes sous le nom de Nino Florio. On écoute, par Di Stefano, « Mattinata », de Ruggero Leoncavallo, l’auteur de Paillasse.

Le 20 avril 1946 Di Stefano débute au Théâtre Municipal de Reggio d’Émilie dans le rôle de Des Grieux de Manon de Jules Massenet.

Il chante ensuite dans toute l’Italie : Les Pêcheurs de Perles à Venise, Rigoletto à Gênes, L’ami FritzRigoletto et La Traviata à Reggio d’Émilie ; La Sonnambula à Bologne et Manon à Plaisance.

Surnommé « Pippo » par ses amis, Di Stefano, est remarqué pour la pureté et la douceur de sa voix, la beauté de son timbre, sa diction parfaite, la passion qu’il mettait dans son chant et son charme typiquement sicilien.

A tous égards, Di Stefano est considéré comme le meilleur ténor lyrique italien depuis Fernando De Lucia.

En mars 1947, il se produit dans Manon au Liceu de Barcelone.

Sa popularité croit rapidement et il est engagé, dans sa troupe de la Scala de Milan et, sans être même auditionné, il fait ses débuts à la Scala dans Manon de Massenet en 1947.

On écoute Di Stefano et Callas dans le duo du premier acte de Lucia di Lammermoor de Donizetti: « Ah ! Verrano a te sull’ aure » (Mes soupirs seront portés par la brise embaumée). L’orchestre et les chœurs du Mai Musical de Florence sont dirigés par Tullio Serafin. Un enregistrement de 1953.

Di Stefano débute en février 1948 au Metropolitan Opera de New York, où il chante dans le rôle du Duc de Mantoue de Rigoletto.

En l’espace de deux ans il se produit sur plusieurs scènes parmi les plus prestigieuses du monde : Vienne, Londres, ChicagoSan Francisco, Mexico, Buenos AiresRio de JaneiroJohannesbourg.

Son talent est acclamé dans le monde entier. Son timbre chaleureux, sa technique sans faille et sa grande présence scénique font de Di Stefano un interprète idéal.

En 1950 il participe au Festival de Vérone dans Les Pêcheurs de perles de Georges Bizet.

Sa carrière triomphale commence en septembre 1951 lors d’une rencontre spectaculaire avec Maria Callas et Tito Gobbi.

Une autre soirée tout aussi spectaculaire a lieu en mai de l’année suivante au Palacio de Bellas Artes à Mexico, quand Di Stefano chante encore avec Callas dans Les Puritains.

À Noël 1952, ils sont ensemble à La Scala pour une représentation de  La Gioconda de Ponchielli.

Du troisième acte des Puritains de Vincenzo Bellini, on écoute par Di Stefano et Callas, le duo passionné entre Arthur et Elvira « Vieni fra queste braccia » (Viens dans ces bras), où le ténor doit atteindre deux contre-ré. L’orchestre de La Scala est dirigé par Tullio Serafin.Un enregistrement réalisé en 1953

En 1952-1953, Di Stefano commence à se lasser de son répertoire de ténor lyrique. Il souhaite chanter désormais des rôles dramatiques, généralement dévolus à des voix plus larges.

Mais il n’a ni l’envergure ni la puissance vocale que requiert le répertoire vériste de la fin du romantisme.

Un autre grand moment dans sa carrière viendra en janvier 1954 à La Scala avec Lucia di Lammermoor dirigée par Herbert von Karajan ; Lucia est jouée par Maria Callas.

Ses débuts sur le sol britannique remontent à 1957 où il chante au Festival international d’Édimbourg, le rôle de Nemorino de l’Elisir d’amore de Donizetti.

Quatre ans plus tard, Di Stefano se produit dans Tosca à Covent Garden et au Royal Opera House de Londres.

A Berlin-Ouest il chante dans l’opérette romantique de Franz Lehar, Le Pays du sourire qui remporte un grand succès.

Du troisième acte de Tosca de Puccini, on écoute Di Stefano chanter « E lucevan le stelle ». L’orchestre et les chœurs de la Scala sont dirigés par Victor de Sabata. Un enregistrement réalisé en 1953.

Mais cette fois, c’est décidé. Après avoir chanté, avec un immense succès, de nombreux rôles du répertoire romantique, Di Stefano décide de s’attaquer au répertoire héroïque pour lequel il n’est visiblement pas fait.

En cinq ans la voix est en lambeaux.

Entre 1956 et 1960, Di Stefano fit, probablement, plus de mauvais choix de répertoire qu’aucun autre chanteur.

Au lieu d’entretenir ses précieux talents, il est tenté de se mesurer à des Mario Del Monaco, Carlo Bergonzi et autres Franco Corelli, et il perdit son pari.

A partir de 1960, alors qu’il n’a même pas 40 ans, ses prestations se détériorent.

Le musicologue anglais Matthew Boyden écrit dans son livre sur l’histoire de l’Opéra : « Pour quiconque ayant entendu Di Stefano chanter dans les années 1940, c’était un peu comme de voir Laurence Olivier oublier son texte ».

Du premier acte de Carmen de Georges Bizet on écoute Di Stefano chanter l’air de la fleur. Il est accompagné au piano par Robert Sutherland. Un enregistrement réalisé lors d’un récital donné avec Maria Callas au Canada, sur la scène de la salle Wilfrid-Pelletier de Montréal.

Di Stefano retrouve encore Maria Callas, avec laquelle il est affectivement très lié, pour une représentation des Vêpres siciliennes lors de la réouverture du Théâtre Régio de Turin.

En 1972 il propose à Maria Callas de faire, en sa compagnie, une tournée internationale de récitals, afin de collecter des fonds pour financer le traitement médical de sa fille.

Au cours de cette tournée, les voix des deux artistes apparaissent très abîmées et leur série de concerts sera interrompus à Sapporo
le 11 novembre en 1974 .

Même avec sa voix réduite à un murmure, Di Stefano poursuivra ses apparitions publiques jusque dans les années 1990.

En juin 1992, il chante le rôle de Calaf dans Turandot sur la scène des thermes de Caracalla à Rome.

Fin 2004, alors qu’il séjourne au Kenya dans sa villa familiale de Diani sur le littoral kenyan de l’océan Indien, il est victime d’une violente agression.

Grièvement blessé à la tête Di Stefano est hospitalisé à Mombasa, puis évacué vers Milan ; mais il  ne se remettra pas de ses traumatismes et restera totalement invalide.

En décembre 2007 il tombe dans le coma et meurt dans sa résidence de Santa Maria Hoè, au nord de Milan, le 3 mars 2008, à l’âge de 86 ans.

Pendant plus de vingt ans Giuseppe Di Stefano aura foulé les scènes les plus prestigieuses.

Il sera pris pour modèle par Pavarotti et Carreras qui lui voueront une admiration sans borne.

José Carreras l’invitera régulièrement à se produire à ses côtés à l’occasion des nombreux galas en faveur de l’Afrique ou de la lutte contre la leucémie.

Du troisième acte de Rigoletto de Verdi,  on écoute, par Giuseppe Di Stefano, Maria Callas, la contralto Adriana Lazzarini et Tito Gobbi, le quatuor : « Bella figlia dell amore » (Belle fille de l’amour). L’orchestre et les chœurs de la Scala sont dirigés par Tullio Serafin. Un enregistrement réalisé en septembre 1955.

 

 

 

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Les Hoquets du Naturalisme

avril 5th, 2019 par Alain Fauquier


jean-kriff

Par Jean KRIFF
Ancien artiste lyrique, professeur de chant
Essayiste

« Je voudrais aussi qu’on travaillât à un catalogue des arts, des sciences et des inventions qui se sont perdues, que l’on donnât les raisons qu’ils sont restés dans l’oubli… »

Montesquieu. Cahiers (I, pp. 92-94)

Le Second empire avait été pulvérisé. L’Alsace et une partie de la Lorraine appartenaient dorénavant au Kaiser. Des milliers de migrants s’entassèrent sur des bateaux et se dirigèrent vers l’Afrique du nord. Il fallait coloniser à outrance pour payer les dettes de guerre et retrouver les matières premières perdues.

Jules Ferry sut ouvrir le cœur des contribuables, la France allait aider les ‘races inférieures’ à s’élever.

Renan apporta sa caution en donnant un argument – inutile d’ailleurs – qui ne pouvait que donner bonne conscience aux boursicoteurs, en écrivant en 1871 : « Une race de maitres et de soldats, c’est la race européenne ». Il n’avait, à l’évidence, pas conscience de chauffer le lit des envahisseurs de 1914.

Le monde des sciences était remué.

Charles Darwin, qui avait troqué dès la fin de son adolescence, théologie contre reproduction des coléoptères, avait démontré que toute mutation positive des espèces dépendait d’un nécessaire combat pour la vie. (L’Origine des espèces- 1859).

Depuis qu’elles étaient connues, ces théories avaient eu des difficultés à s’imposer en France. En effet, il était difficile pour l’Empereur de faire admettre par Eugénie que ses ancêtres, même lointains, pouvaient avoir été singes ou pire encore cafards ? Heureusement, le pragmatisme de Claude Bernard (1813-1878) membre de l’Académie des sciences, vint à l’essentiel de la physiologie en publiant : Introduction à l’étude de la médecine expérimentale (1865).

Décadence

Dieu, lui, semblait être sur la voie des ‘encombrants’. La laïcité se frayait un chemin en version populaire grâce au développement de la lecture mais l’on se méfiait encore de l’utilisation qu’en feraient les femmes.

Zola inaugura le naturalisme en se basant sur les travaux de Claude Bernard. Il ne s’agissait, dira-t-il, que de remplacer « le mot médecin par celui de romancier ». C’est Thérèse Raquin (1867) qui est considéré comme premier ouvrage marquant le début du naturalisme littéraire, une histoire où « les remords des deux héros, consiste en un simple désordre organique ». Littérature infecte, produit des triomphes de la démocratie, écriture putride diront ses détracteurs conservateurs. Ce sont eux qui ancrèrent le naturalisme dans un radicalisme républicain, celui de ‘décadents’, vocable dont ils affublèrent ces écrivains, objets de leurs attaques. Cette décadence des années 1880-1900, n’était finalement pas le déclin car finement revendiquée, elle devenait l’outil pertinent, capable de désagréger le conservatisme.

Maupassant ira jusqu’à abolir toute allusion, même infime, à la morale, précisément considérée comme un frein à la décadence. Pierre Louÿs, Jean Lorrain et des écrivaines comme Rachilde, Gyp ou poétesses comme Renée Vivien, se firent alors connaître, n’hésitant pas à apporter dans leurs textes des éléments explicitement érotiques, mettant l’homosexualité féminine à l’honneur.

Les naturalistes attaquaient la société patriarcale. Une première réussite, fut le rétablissement du divorce en 1884.

Pour Emile Zola, les rapports du peuple avec la guerre, la terre, la mer, la cruauté, étaient des éléments qu’il fallait porter à la scène lyrique. C’est son ami Alfred Bruneau (Humanisme n°279) qu’il allait charger de composer des opéras à partir de ses œuvres.

Ce furent, à l’Opéra ou à l’Opéra-comique: Le Rêve (1891), l’Attaque du Moulin (1893), Messidor (1897), L’Ouragan (1901) puis, après la mort de Zola en 1902 : L’Enfant-Roi (1905), Naïs Micoulin (1907) et Les Quatre Journées (1916).

Devant l’engouement du public, de nouvelles commandes d’œuvres se multiplièrent. Massenet, l’un des musiciens les plus joués, rendu internationalement célèbre avec Manon et Werther, releva le gant du langage naturaliste, dépouillé et cru ; bien que critiqué pour la Navarraise en 1894, il réitéra trois ans plus tard avec Sapho, un sujet d’Alphonse Daudet.

Rome 

D’autre part, dès 1901, la préparation d’une loi séparant Église et État, suscitait une grande effervescence dans les milieux progressistes.

En effet, Léon XIII avait publié une lettre encyclique, Rerum Novarum en 1891, dans laquelle il avait développé la théorie sociale de l’Eglise et appelé à contrer les visions matérialistes du socialisme : « Vous avez vu violer la sainteté et l’inviolabilité du mariage chrétien par des dispositions législatives, laïciser les écoles et les hôpitaux, arracher les clercs à leurs études et à la discipline ecclésiastique pour les astreindre au service militaire, disperser et dépouiller les congrégations religieuses ». Le 1er janvier 1906, la loi de séparation entrait en vigueur.

Dans les théâtres, lyriques ou dramatiques, surtout dans ceux subventionnés, cette loi était attendue. Elle libérerait l’expression créatrice demeurée tremblotante devant la crainte des fulminations venues des autels.

Par bonheur, l’esthétique de l’antiquité païenne, portée au théâtre, fut un outil d’artistes pour entamer la ‘morale’. Mais il fallut du temps. Il en faut beaucoup entre l’élaboration d’un livret et la première représentation d’un spectacle lyrique. Un long travail de préparation est nécessaire depuis l’écriture musicale proprement dite jusqu’à l’ultime répétition des solistes, orchestre, ballet et chœurs. C’est ainsi qu’une multitude d’œuvres lyriques atteignirent le public avec retard, une moyenne de dix années.

Or l’art a besoin de se tourner vers le futur pour exister. Cela devait jouer un mauvais tour au théâtre lyrique naturaliste.

En prémisses au vote de la loi de 1905, les compositeurs naturalistes, par le choix de leurs sujets et la manière dont leurs librettistes utilisaient les mots, montraient surtout la volonté de ‘déniaiser’ les esprits.

Pierre Louÿs (1870-1925) fut de ceux qui ouvrirent le bal des Années Folles. Il faisait partie des Parnassiens, qui, avec Catulle Mendès et Mallarmé, affichaient l’idée que tout pouvait être écrit et décrit ; aucune règle, dite morale, n’étant aussi essentielle que la rigueur technique de l’emploi des mots. Pierre Louÿs, lui, guidé essentiellement par l’érotisme, publia Astarté, Les Chansons de Bilitis, Aphrodite, La femme et le Pantin et Les Aventures du Roi Pausole, œuvres qui toutes furent transformées en pages lyriques.

Naturalisme à l’Opéra 

Albert Carré en 1899, avait pris en mains les destinées de l’Opéra-comique.

Il y fit jouer un an plus tard, à l’occasion de l’Exposition Universelle, Louise de Gustave Charpentier. Cet opéra témoigne de la vie intime du monde ouvrier confronté à la transcendance d’un Paris, transcendé par Montmartre, patrie de l’Art. Cet opéra connut un tel succès qu’il fut joué près de 1200 fois à l’Opéra-comique, mais les ‘prédateurs’ du naturalisme, symbolisme et impressionnisme musicaux guettaient.

Le temps était propice. Foin de Sardou, Mendès et Richepin !

Il y avait mieux pour remplacer la légende des religions établies : Maeterlinck et ses opaques brumes médiévales.

Dès 1902, Albert Carré produisit Pelléas et Mélisande à l’Opéra-comique. Claude Debussy et Maurice Maeterlinck ébranlaient d’un coup le naturalisme musical français.

Le vérisme italien, exporté à Paris, en profita immédiatement. La Tosca, Madame Butterfly, La Vie de Bohème, écrits pourtant à partir de textes littéraires français, conservèrent le droit d’humecter les mouchoirs grâce à des livrets français… mais traduits de l’italien.

Le public de France, peuple rationnel, a toujours su être rigoureux dans le choix de ses émotions.

Jean Richepin, qui ne se réclamait d’aucune école sauf de la sienne, s’était fait connaître en 1876 avec La Chanson des gueux.

Cela l’avait mené en prison.

Paris en ferait un jour un académicien. C’est son succès de 1897 : Le Chemineau, drame paysan, qui fut choisi pour être mis en musique par Xavier Leroux en 1907. Il lui avait fallu attendre 10 ans, comme cela s’était avéré précédemment pour l’Astarté de Pierre Louÿs.

Pour cette nouvelle œuvre, Leroux fit appel à un vrai/faux folklore bourguignon avec une rudesse de ton qui le fit souvent mal accepter par les salons conservateurs, alors que ceux-ci applaudissaient les compositeurs étrangers ayant usé de semblables procédés : le groupe russe dit ‘des cinq’, Edward Grieg, Franz Liszt, Robert Schumann, etc.

Le public populaire et même certains bourgeois ne furent pas dupes. L’œuvre fut abondamment jouée. D’autres, que l’on doit citer, utilisèrent des matériaux sonores semblables : Vincent d’Indy ou Joseph Canteloube. Nous avons préféré retenir Xavier Leroux, parce qu’il est injustement oublié. Premier Prix de Rome, d’esprit contestataire, il avait tenté d’éviter l’obligation que son prix imposait : rester trois ans en Italie. Rattrapé par la loi, il avait été contraint d’effectuer cinq années d’armée.

Nommé professeur au Conservatoire national de musique en 1896, en classe d’harmonie, son activité de compositeur ne cessa qu’à sa mort, à 56 ans, le 2 octobre 1919.

Soutenu par Charpentier et Bruneau, fondateurs de la Chambre syndicale des artistes musiciens (rattachée à la CGT dès 1902), il avait pris, en 1910, la tête d’un groupe de défense de la musique française, déclenchant ainsi deux débats à l’Assemblée nationale.

Une odeur de soufre 

Un an plus tard, on lui avait joué Astarté à l’Opéra. Le texte de Pierre Louÿs déjà jugé sulfureux en 1891, ne fut édulcoré ni par le livret de Louis de Gramont connu pour sa plume redoutable, ni par les notes de Leroux, jugées inutilement agressives.

Dans la pièce, Omphale, grande prêtresse de l’amour lesbien, triomphe d’Hercule en le faisant périr par le feu, puis quitte son île, dévorée par les flammes, pour gagner Lesbos. Omphale avait été interprétée par une merveilleuse mezzo-soprano, concubine de Leroux, Meyrienne Héglon, encensée pour sa voix, sa beauté et sa lascivité scénique.

Camille Bellaigue, proche de Maurras, attaqua ce ‘texte dépravé’ tandis qu’à l’étranger, Magnus Hirschfeld, médecin allemand, fondateur d’un comité scientifique pour la dépénalisation de l’homosexualité, applaudit à sa création, précisant : ‘Astarté est probablement le premier opéra joué […] dans lequel l’amour saphique reçoit son authenticité’ (Jahrbuch für sexuelle Zwischenstufen (Annales des différentes sexualités). Xavier Leroux ne travailla qu’avec des esprits libres : Victorien Sardou, Louis de Gramont, Jean Richepin, Catulle Mendès sachant vitrioler la morgue conservatrice des salonards. Jusqu’à la veille de la guerre, à cause des retards de production, de nombreux compositeurs tentèrent encore d’imposer la veine naturaliste.

Maurice Ravel y fit une incursion en 1907 avec l’Heure Espagnole, mais l’heure était sonnée de l’avènement de l’impressionnisme.

Pour lutter contre les pouvoirs de Rome, l’Allemagne de Bismarck avait inventé le « Kulturkampf ».

La France avait choisi le naturalisme.

Cette expérience culturelle, portée par les grands théâtres subventionnés, sut libérer l’art et les mœurs des censures de sacristains. Le naturalisme musical, abandonné aujourd’hui fut, auprès des classes aisées, un réel désagrégateur des ennemis de la laïcité.

En 1901, Astarté de Leroux se terminait par un hymne à la Déesse éponyme : « Chantons les yeux pervers. Gloire à la Volupté ! » Un an plus tard, Arkel, dans Pelléas et Mélisande de Debussy chantait: « Si j’étais Dieu, j’aurais pitié du cœur des hommes ! »

Mais c’était le temps des Années folles.

 

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